Folies Scolaires

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Textes d'auteurs

Quelques textes d'auteurs qui parlent de l'éducation et nous aident à mieux la comprendre.


La science des mots lui échappait

La Ferme des animaux, George Orwell,

 

Douce apprit toutes ses lettres, mais la science des mots lui échappait. Malabar n'allait pas au-delà de la lettre D. De son grand sabot, il traçait dans la poussière les lettres A B C D, puis il les fixait des yeux, et, les oreilles rabattues et de temps à autre repoussant la mèche qui lui barrait le front, il faisait grand effort pour se rappeler quelles lettres venaient après, mais sans jamais y parvenir. Bel et bien, à différentes reprises, il retint E F G H, mais du moment qu'il savait ces lettres-là, il avait oublié les précédentes. À la fin, il décida d'en rester aux quatre premières lettres, et il les regardait une ou deux fois dans la journée pour se rafraîchir la mémoire. Lubie refusa d'apprendre l'alphabet, hormis les cinq lettres de son nom. Elle les traçait fort adroitement, avec des brindiles, puis les agrémentait d'une fleur ou deux et, avec admiration, en faisait le tour. 

 


18/11/2020


Il s'agit d'apprendre à vouloir.

Propos sur l'éducation, Alain

 

J'en viens à ceci, que les travaux d'écolier sont des épreuves pour le caractère, et non point pour l'intelligence. Que ce soit orthographe, version ou calcul, il s'agit de surmonter l'épreuve, il s'agit d'apprendre à vouloir.

 


08/05/2019


Le français est une langue vivante que l’on sait mal, quand on ne l’a apprise que par l’usage.

 

Comment le petit Français apprend à écrire, Rollo Walter Brown (1912)

 

La pratique effective est le moyen majeur par lequel le petit Français apprend à écrire ; mais ce n’est pas le seul moyen. Il s’agit seulement de l’assise sur laquelle les autres bonnes influences sont bâties. En général, l’enseignant français n’a pas peur de donner quelques connaissances supplémentaires, qu’elles aient ou non une finalité immédiatement « pratique ». Il ne laisse pas l’élève tâtonner dans ses travaux écrits sans lui transmettre quelque information organisée concernant la langue qu’il tente d’employer. La grammaire est donc enseignée ; et par grammaire, je ne désire pas des « leçons de langue » prédigérées, mais une grammaire authentique qui traite ouvertement, et à fond, ces principes mêmes qui rendent les relations internes à la langue intelligibles et utiles. Les Instructions publiées par le ministère attestent sur ce point de l’attitude générale à l’égard de l’enseignement de la grammaire : « Le français est une langue vivante que l’on sait mal, quand on ne l’a apprise que par l’usage. L’étude de la grammaire est donc une nécessité. »

 

Traduction de Sébastien-Akira Alix

 


23/01/2019


Pour empêcher qu'il ne devienne incurable, il faut le prévenir.

 

Lettre à Monseigneur le Dauphin, Bossuet

 

            Ne croyez pas, monseigneur, qu’on vous reprenne si sévèrement pendant vos études, pour avoir simplement violé les règles de la grammaire en composant. Il est sans doute honteux à un prince, qui doit avoir de l’ordre en tout, de tomber en de telles fautes ; mais nous regardons plus haut quand nous en sommes si fâchés ; car nous ne blâmons pas tant la faute elle-même, que le défaut d’attention, qui en est la cause.

            Ce défaut d’attention vous fait maintenant confondre l’ordre des paroles ; mais si nous laissons vieillir et fortifier cette mauvaise habitude, quand vous viendrez à manier, non plus les paroles, mais les choses mêmes, vous en troublerez tout l’ordre. Vous parlez maintenant contre les lois de la grammaire : alors vous mépriserez les préceptes de la raison. Maintenant vous placez mal les paroles, alors vous placerez mal les choses ; vous récompenserez au lieu de punir, vous punirez quand il faudra récompenser, enfin vous ferez tout sans ordre, si vous ne vous accoutumez dès votre enfance à tenir votre esprit attentif, à régler ses mouvements vagues et incertains, et à penser sérieusement en vous-même à ce que vous avez à faire. […]

            Rappelez-vous, je vous en conjure, de quelle manière Denys le Tyran traita le fils de Dion, pendant qu’il l’eut en sa puissance. Tout ce qu’on peut imaginer de plus barbare, c’est ce que la haine qu’il avait pour le père lui fit entreprendre contre le fils. Vous avez vu dans votre Cornelius Nepos, qu’inventeur d’un nouveau genre de vengeance, il ne tira point l’épée contre cet enfant innocent, il ne le mit point en prison, il ne lui fit point souffrir la faim ou la soif ; mais, ce qui est plus déplorable, il corrompit en lui toutes les bonnes qualités de l’âme.

            Pour exécuter ce dessein, il lui permit tout, et l’abandonna, dans un âge inconsidéré, à ses fantaisies, à ses humeurs. Le jeune homme, emporté par le plaisir, donna dans la plus affreuse débauche. Personne n’avait l’œil sur sa conduite ; personne n’arrêtait le torrent de ses passions. On contentait tous ses désirs ; on louait toutes ses fautes. Ainsi corrompu par une malheureuse flatterie, il se précipita dans toute sorte de crimes.

            Mais considérez, monseigneur, combien plus facilement les hommes tombent dans le désordre, qu’on ne les ramène à l’amour de la vertu. Après que ce jeune homme eut été rendu à son père, il fut mis entre les mains de gouverneurs qui n’oublièrent rien pour qu’il changeât. Tout fut inutile : car, plutôt que de se corriger, il aima mieux renoncer à la vie, en se jetant du haut en bas de sa maison.

            Tirez de là deux conséquences :

dont la première est que nos véritables amis sont ceux qui résistent à nos passions, et que ceux au contraire qui les favorisent sont nos plus cruels ennemis ;

la seconde et la plus importante que si de bonne heure on prend bien garde aux enfants, alors l’autorité paternelle et de bons documents peuvent beaucoup. Au contraire, si de mauvaises et fausses maximes leur entrent une fois dans l’esprit, alors la tyrannie de l’habitude se rend invincible, et il n’y a plus ni remède ni secret qui puisse guérir le mal. Pour empêcher qu’il ne devienne incurable, il faut le prévenir.

            Travaillez-y, monseigneur ; et afin que votre raison fasse les plus grands progrès, fuyez la dissipation, ne vous livrez point à de frivoles amusements, mais nourrissez-vous de réflexions sages et salutaires ; remplissez-vous-en l’esprit ; faites-en la règle de votre conduite, et accoutumez-vous à recueillir les fruits abondants qu’elles sont capables de produire.

 

 


21/03/2018


Il fallait qu'un bâton de chaise fût bien fait.

        L'Argent, Charles Péguy

 

 

             Nous avons connu un honneur du travail exactement le même que celui qui au Moyen Âge régissait la main et le coeur. C'était le même conservé intact en dessous. Nous avons connu ce soin poussé jusqu'à la perfection, égal dans l'ensemble, égal dans le plus infime détail. Nous avons connu cette piété de l'ouvrage bien faite poussée, maintenue jusqu'à ses plus extrêmes exigences. J'ai vu toute mon enfance rempailler des chaises exactement du même esprit et du même coeur, et de la même main, que ce même peuple avait taillé ses cathédrales. [...]

 

          Ces ouvriers ne servaient pas. Ils travaillaient. Ils avaient un honneur, absolu, comme c'est le propre d'un honneur. Il fallait qu'un bâton de chaise fût bien fait. C'était entendu. C'était un primat. Il ne fallait pas qu'il fût bien fait pour le salaire ou moyennant le salaire. il ne fallait pas qu'il fût bien fait pour le patron ni pour les connaisseurs ni pour les clients du patron. Il fallait qu'il fût bien fait lui-même, en lui-même, pour lui-même, dans son être même. Une tradition, venue, montée du plus profond de la race, une histoire, un absolu, un honneur voulait que ce bâton de chaise fût bien fait. Toute partie, dans la chaise, qui ne se voyait pas, était exactement aussi parfaitement faite que ce qu'on voyait. C'est le principe même des cathédrales.

 

           Nous avons connu un honneur du travail exactement le même que celui qui au Moyen Âge régissait la main et le coeur. C'était le même conservé intact en dessous. Nous avons connu ce soin poussé jusqu'à la perfection, égal dans l'ensemble, égal dans le plus infime détail. Nous avons connu cette piété de l'ouvrage bien faite poussée, maintenue jusqu'à ses plus extrêmes exigences. J'ai vu toute mon enfance rempailler des chaises exactement du même esprit et du même coeur, et de la même main, que ce même peuple avait taillé ses cathédrales. [...]

 

          Ces ouvriers ne servaient pas. Ils travaillaient. Ils avaient un honneur, absolu, comme c'est le propre d'un honneur. Il fallait qu'un bâton de chaise fût bien fait. C'était entendu. C'était un primat. Il ne fallait pas qu'il fût bien fait pour le salaire ou moyennant le salaire. il ne fallait pas qu'il fût bien fait pour le patron ni pour les connaisseurs ni pour les clients du patron. Il fallait qu'il fût bien fait lui-même, en lui-même, pour lui-même, dans son être même. Une tradition, venue, montée du plus profond de la race, une histoire, un absolu, un honneur voulait que ce bâton de chaise fût bien fait. Toute partie, dans la chaise, qui ne se voyait pas, était exactement aussi parfaitement faite que ce qu'on voyait. C'est le principe même des cathédrales.

 

 

 


14/03/2018


Nous avons tous notre bonne part de reproches à nous faire.

 

« La Dernière Classe », Alphonse Daudet (Les Contes du lundi)

 

       Alors d'une chose à l'autre, M. Hamel se mit à nous parler de la langue française, disant que c'était la plus belle langue du monde, la plus claire, la plus solide : qu'il fallait la garder entre nous et ne jamais l'oublier, parce que, quand un peuple tombe esclave, tant qu'il tient sa langue, c'est comme s'il tenait la clef de sa prison... Puis il prit une grammaire et nous lut notre leçon. J'étais étonné de voir comme je comprenais. Tout ce qu'il disait me semblait facile, facile. Je crois aussi que je n'avais jamais si bien écouté, et que lui non plus n'avait jamais mis autant de patience à ses explications. On aurait dit qu'avant de s'en aller le pauvre homme voulait nous donner tout son savoir, nous le faire entrer dans la tête d'un seul coup. [...]

        

          Tout à coup l'horloge de l'église sonna midi, puis l’angélus. Au même moment, les trompettes des Prussiens qui revenaient de l'exercice éclatèrent sous nos fenêtres... M. Hamel se leva, tout pâle, dans sa chaire. Jamais il ne m'avait paru si grand.

          « Mes amis, dit-il, mes amis, je... je... »

          Mais quelque chose l'étouffait. Il ne pouvait pas achever sa phrase.

          Alors il se tourna vers le tableau, prit un morceau de craie, et, en appuyant de toutes ses forces, il écrivit aussi gros qu'il put :

          « VIVE LA FRANCE ! »

          Puis il resta là, la tête appuyée au mur, et, sans parler, avec sa main il nous faisait signe : 

          « C'est fini...allez-vous-en. »

 

Texte complet ci-dessous

 


14/03/2018